Dans cette affaire, s’il y a bien une victime, elle est expiatoire, et elle se nomme Fouad Mourtada.
samedi 23 février 2008Comme c’est souvent le cas, c’est dans les commentaires des visiteurs de chez larbi.org que l’on trouve des contributions dignes d’êtres publiés dans les meilleurs magazines marocains.
Un coup de cœur pour ce commentaire publié aujourd’hui à 14h45 :
Généralement, je suis plutôt optimiste quant à la capacité de la classe dirigeante à accompagner le Maroc dans un développement économique socialement inclusif sans avoir à confronter publiquement des réformes structurelles avec son people et les institutions existantes, étape qui de toutes façons aurait été douloureuse et traumatisante pour le pays. J’ai eu foi en ce Roi qu’on surnommait à un moment le Roi des Pauvres. J’ai réellement crû en la rupture, surtout en 2004, avec la création de l’IER.
J’ai longtemps pensé que le Palais se réfugiait dans son mutisme pour mieux opérer des réformes de fond, affichant sa rupture avec les pratiques locales caractérisées par les annonces tapageuses et promesses mirobolantes, au demeurant, rarement tenues. Jusqu’à l’annonce du verdict de l’affaire Mourtada, j’y avais vraiment crû. J’avais pensé que le Maroc s’était engagé à devenir un pays ouvert et moderne, et avait pour ambition de devenir un exemple de tolérance et de liberté d’expression pour un pays Arabe. Je pensais sincèrement que les années de plomb sont loin derrières. Je ne voulais pas accepter qu’un pays dont les piliers du développement économique sont l’offshoring et des touristes au nombres de 10 millions, n’ait pas réussi à intégrer que l’ouverture économique devait s’accompagner d’une certaine flexibilité politique.
Aujourd’hui, je me demande pourquoi je continue à me raconter toutes ces histoires.
Le verdict du jugement de l’affaire Mourtada m’a brutalement ramenée à une réalité encore plus sordide. Non seulement, les réformes espérées ne sont visiblement pas d’actualité, mais la classe dirigeante tient à afficher tant bien au Maroc que dans le reste du monde, le maintien d’une justice arbitraire. Dans cette affaire il n’y a pas de plainte, ni de partie civile, il n’y a pas non plus de victime, ni de dommage causé. On accuse Fouad Mourtada « d’usurpation d’identité princière » et de « falsification de documents informatiques ». Quelle aurait alors été sa faute qui aurait eu un lien de cause à effet direct et certain avec le dommage subit par sa victime ? J’aimerais bien comprendre. Ce qu’en revanche j’ai compris, c’est qu’on peut d’ores et déjà établir un lien direct et certain entre l’ignorance et l’obscurantisme des personnes dirigeantes et la souffrance morale et physique de Fouad. Dans cette affaire, s’il y a bien une victime, elle est expiatoire, et elle se nomme Fouad Mourtada.
La société marocaine est découpée en classes sociales plutôt étanches. La servilité est de mise, le Palais vit avec et fait vivre une nuée de courtisans que l’on appelle communément « les Proches du Palais ». La structure sociale du royaume s’apparente fortement à une structure moyenâgeuse. Le « châtiment exemplaire » réclamé par le procureur témoigne de cette dominance. L’accusé n’est pas condamné parce qu’il aurait commis un crime ou mis en danger la sécurité du pays, mais « châtier » pour ôter toutes envies à tous ceux qui d’aventure « manqueraient de respect à la royauté ».
Le juge de Fouad Mourtada, sur une autre affaire récente, a condamné à 2 ans de prison ferme un gardien de crèche accusé de viols sur des enfants de 4 ans. Est-ce plus grave de « manquer de respect à la royauté » que de violer des enfants ? ou le jugement prononcé aurait fait l’objet de pression émanant d’instance suprême ? Je préfère de loin, croire en la seconde supposition. Cette affaire témoigne de l’obscurantisme de la classe dirigeante et de ses institutions. Qu’un état emploie des méthodes arbitraires contre les opposants au régime en place, si telle était réellement le cas, le Maroc n’est pas isolé. Cependant, dans le cas de l’affaire Fouad Mourtada, il ne s’agit pas d’emprisonnement d’un leader d’opposition, Fouad n’avait peut-être même pas de conviction politique. Ou peut-être que la seule conviction qu’il a exprimée, c’est de l’admiration et du respect pour le Prince, donc pour la royauté. Les motifs, les arguments et la peine prononcée dénotent la médiocrité affligeante de la justice au service d’une royauté toute aussi médiocre.
En théorie, le Maroc est une monarchie constitutionnelle, en pratique, on est plus proche du pouvoir absolu parce le Roi détient les principaux rênes de l’exécutif, cette affaire montre qu’il contrôle également le judiciaire. L’histoire a démontré que les pouvoirs d’un état concentrés entre les mains d’une seule personne ou d’un ensemble réduit d’individus se révélait être parfois une nécessité, notamment lorsque le pays est face à un état d’urgence ou lorsque le dirigeant a une vision très claire des étapes de développement de son pays. Qu’en est-il du Maroc ? Au vu des évènements récents et des opérations successives de musellement de la presse, des emprisonnements arbitraires, la vision de développement du Maroc semble de plus en plus brouillée et parsemée d’incohérences.
Quel futur pour le Maroc ? Cette monarchie de droit divin, certes constitutionnelle, montre de plus en plus ses limites. Une révision constitutionnelle ?