Le mensuel VH Magazine publie un dossier de huit pages sur la blogosphère marocaine et les portraits de quelques bloggeurs ainsi que quelques thématiques relatives aux blogs citoyens au Maroc. Le dossier est signé Charlotte Hennebicque. Voici quelques extraits !
Les rendez-vous du blogging citoyen
Blog day, blogotour, blogmeeting, blogo-ftour, maroc Blog awards, les bloggeurs ont leur vocabulaire, leurs rendez-vous et leurs trophées. deux événements ont acquis une certaine notoriété. le Blog day, une initiative mondiale, est un événement citoyen qui s’organise autour de conférences thématiques réparties sur plusieurs journées. le premier Blog day marocain a eu lieu en 2005 et s’est pérennisé en 2006 à casablanca et en mai 2008 à tanger. parallèlement, la blogosphère marocaine s’est dotée de ses propres rendez-vous nationaux. le Blogotour est ainsi né en 2007 d’une idée formulée lors d’un blogmeeting par six jeunes bloggeurs d’agadir. très vite, ils organisent une première série de conférences dans les plus grandes villes du maroc pour partager leurs expériences et sensibiliser le grand public. le Blogotour est devenu l’un des rendezvous marquants dans l’univers de la blogoma. autre initiative purement marocaine : les blogo-ftour du ramadan, ou une tentative réussie d’adaptation d’un concept mondialisé à la culture marocaine.
La e-censure
censure ou pas ? sur le sujet, les avis sont assez partagés. nos bloggeurs citoyens apprécient la relative liberté qui prévaut au maroc par rapport à d’autre pays de la zone. « contrairement aux blogosphères tunisienne et égyptienne, complètement paralysées par la censure, la blogoma ne semble pas craindre d’exprimer son opinion et tend à être de plus en plus ‘citoyenne’ », explique lady Zee. néanmoins, ils déplorent les dernières condamnations d’internautes marocains. et n’hésitent pas à dénoncer l’attitude de plus en plus répressive à leur égard. petit rappel des derniers scandales qui ont secoué la blogoma. en 2007, des vidéos montrant des gendarmes marocains en flagrant délit de perception de bakchich furent postées sur youtube et saluées comme une première par l’ensemble de la blogoma, ainsi que par la presse écrite. maroc telecom n’a pas bloqué le site mais elle a livré les informations permettant d’identifier les responsables, attitude scandaleuse aux yeux des médias. la même année, l’affaire fouad mourtada, ingénieur informaticien, qui après avoir créé un profil du prince moulay rachid, frère du roi, sur facebook, est kidnappé par la police et torturé. sa condamnation à l’issue d’un simulacre de procès entraîna
un large mouvement de protestation et de soutien dans la blogoma. dernier émoi en date, l’affaire mohamed erraji, jeune bloggeur condamné puis relaxé pour « atteinte à la personne du roi », a suscité une mobilisation internationale qui a sans doute contribué à l’issue heureuse de l’affaire. la communauté dénonce aussi la censure pratiquée par maroc telecom, qui interdit, sous des prétextes douteux, l’accès à certains sites comme google earth, google maps ou youtube. suite à ces affaires, beaucoup de bloggeurs s’inquiètent du durcissement de l’attitude des autorités. « les affaires mourtada et erraji, et l’arbitraire judiciaire dont ils ont été victimes, ont eu un effet très négatif sur l’état d’esprit des bloggeurs. on pourrait craindre que ces tristes affaires instaurent un climat d’autocensure chez les bloggeurs, mais à ce stade, rien ne me permet de l’affirmer ou l’infirmer », conclut larbi.
Les actions e-militantes
dernière en date, un forum sur internet mis en place par lady Zee, permet aux consommateurs au maroc d’émettre des avis suite à l’utilisation de certains produits et services. des compagnies aériennes à l’usage des télécoms jusqu’aux produits bancaires, tout y est répertorié. lady Zee est également à l’origine de différentes mobilisations d’importance, qui ont d’ailleurs contribué à sa popularité sur la blogoma : « Bloguons Utile » d’abord, un collectif de bloggeurs qui décide de consacrer une journée déterminée à la défense d’une cause. la communauté s’est aussi mobilisée contre la censure de youtube par maroc télécom, pour la défense de mourtada ou plus récemment d’erraji, par la diffusion de e-pétitions notamment. a cette occasion, la blogoma, forte du soutien de la blogosphère mondiale, a mené un mouvement de grève des blogs. et parce que les bloggeurs ne manquent pas d’humour, ils ont créé une page sur facebook intitulée « maroc télécom, la plus grande arnaque de l’histoire du maroc », évidemment relayée par les blogs. dernière initiative citoyenne notable : une mobilisation pour la sauvegarde du système éducatif marocain. « les blogs peuvent constituer le bras armé de cette résistance, puisque désormais la
presse et les médias étrangers trouvent en nous autant de correspondants pour montrer du doigt de telles ignominies », écrit lady Zee.
Blogs et médias : la guerre froide ?
Avec l’avènement d’Internet, des journalistes citoyens d’un nouveau genre utilisent les nouveaux moyens de communication pour produire de l’information, et plus seulement la consommer. D’où un conflit larvé avec les médias classiques, dans un pays où la relation traditionnelle entre consommateurs et producteurs d’information est plutôt verticale. Tandis que les journalistes reprochent aux bloggeurs leur subjectivité et leur amateurisme, les bloggeurs reprochent aux journalistes leur partialité et leur rigidité. « Une relation tendue prévaut, et le contraire aurait été étonnant tant c’est caractéristique de toutes les blogosphères du monde », confie Larbi. Les bloggeurs voient dans ce changement un gain en termes de liberté d’expression. Car l’avènement du blogging oblige les médias classiques à modifier leurs pratiques journalistiques. D’un côté parce que certaines informations sont désormais diffusées par les internautes puis reprises par les médias, comme c’est le cas des vidéos publiées sur Youtube montrant des policiers pris en flagrant délit de corruption. « Le blogging a poussé les médias à changer de moyens d’investigation », poursuit Othmane Boumaalif. Et d’un autre côté, parce que dorénavant, les informations publiées dans les médias classiques sont décryptées dans les blogs et sujettes à de rudes critiques. Larbi l’explique ainsi : « avant l’arrivée des blogs, un journaliste publiait son article et passait son chemin sans se soucier des feedbacks des lecteurs, tout au plus il pouvait publier une droit de réponse ou un rectificatif. Aujourd’hui, le moindre article est repris et commenté sur la blogosphère sans besoin de passer par la publication d’origine ». Et de conclure : « certains journalistes sont rapidement devenus les têtes de turc des bloggeurs, exactement comme c’est le cas en France par exemple ».
(c) Charlotte Hennebicque, VH magazine, Novembre 2008